Mis en ligne le 2011-12-09
Dans le même temps en Afrique, le Ghana a commencé à extraire pour la première fois du pétrole, et l’Ouganda est sur le point de faire de même. En effet, de l’Afrique de l’ouest à la Mongolie, les pays recueillent les fruits inattendus de ces nouvelles découvertes de richesses pétrolières et minières. Et l’euphorie est soutenue par les niveaux historiques des prix du pétrole et des minerais sur les marchés mondiaux depuis quatre ans.
De nombreux pays se sont déjà retrouvés dans cette situation auparavant, grisés par le pactole des ressources naturelles avant de voir la prospérité virer à la déception, les opportunités dilapidées, et si peu de bénéfices en terme d’une meilleure qualité de vie pour leur peuple. Mais, que ce soit en Libye ou au Ghana, les responsables politiques aujourd’hui ont un avantage : la plupart d’entre eux sont conscients de cette situation, et veulent connaître le moyen d’éviter la fameuse « malédiction » des ressources naturelles.
Pour prescrire un traitement, il faut diagnostiquer la maladie. Pourquoi les richesses du pétrole deviennent une malédiction autant qu’une bénédiction ?
Les économistes ont identifié six pièges pouvant affecter les exportateurs de ressources naturelles : la volatilité des prix des matières premières, l’appauvrissement des industries de transformation, le « mal hollandais » (une industrie d’exportation dynamique entraine une rapide appréciation de la monnaie, ce qui sape la compétitivité des autres exportateurs), un développement institutionnel entravé, la guerre civile, et un épuisement excessivement rapide des ressources (avec une insuffisance de réserves).
Les prix du pétrole sont particulièrement volatiles, comme nous le rappellent les importantes fluctuations constatées ces cinq dernières années. Le récent boom pétrolier pourrait facilement s’écrouler, surtout si l’économie globale ralentit.
La volatilité en elle-même coûte cher, et laisse les économies dans l’impossibilité de répondre de manière efficace aux signaux de prix. Les secteurs immatures de transformation et de production d’autres biens également négociés à l’international subissent généralement le contrecoup des booms temporaires des matières premières et voient s’éloigner main d’œuvre, capital et foncier. Cette réattribution peut entraver le développement économique à long terme si ces secteurs encouragent l’apprentissage par la pratique et génèrent des gains de productivité plus importants.
Le problème n’est pas uniquement que la main d’œuvre, le capital et le foncier soient aspirés par le dynamisme du secteur pétrolier et minier. Ils le sont aussi fréquemment par la relance induite des secteurs de la construction et d’autre biens et services non négociables. S’ensuit aussi une augmentation exubérante des dépenses publiques, ce qui peut entrainer un gonflement de la masse salariale dans l’administration et d’importants projets d’infrastructure, deux activités qui deviennent insoutenables lorsque les prix du pétrole chutent. Et tant pis si, entretemps, le secteur manufacturier est devenu une coquille vide.
Mais les pièges sont néanmoins légion même si la hausse des prix du pétrole se maintient. Les gouvernements parvenant à se financer simplement en maintenant leur contrôle physique sur le pétrole et les minerais ne parviennent souvent pas à développer des institutions, pourtant garantes du développement économique.
Ces pays développent une société hiérarchique autoritariste dans laquelle la seule incitation est de rivaliser pour un accès privilégié aux revenus de ces ressources. Dans les cas extrêmes, cette rivalité peut prendre la forme d’une guerre civile. Dans un pays privé de richesses naturelles, par contre, les élites n’ont d’autre alternative que d’encourager une économie décentralisée dans laquelle les individus sont incités à travailler et économiser. Ces économies sont celles qui industrialisent.
Le dernier chaussetrappe est un appauvrissement excessivement rapide des gisements de pétrole et de minerais, en totale violation des règles optimales d’économie des réserves, et plus encore de la préservation de l’environnement.
Que peuvent faire les pays pour s’assurer que les ressources naturelles soient une bénédiction plutôt qu’une malédiction ? Certaines mesures et institutions ont été tentées, sans succès ; parmi elles, en particulier, des démarches pour supprimer artificiellement les fluctuations des marchés globaux en imposant un contrôle sur les prix, des contrôles sur les exportations, des conseils marketing, et des cartels.
Certains pays y sont cependant parvenus, et leurs stratégies pourraient constituer des modèles utiles pour la Libye, l’Irak, le Ghana, la Mongolie, etc. Parmi elles : couvrir les revenus d’exportation – par exemple, via le marché pétrolier d’options à terme, comme le fait le Mexique ; assurer une politique budgétaire anticyclique – par exemple, via une variante de la règle chilienne de budget structurel ; et déléguer les fonds souverains de richesse à des gestionnaires professionnels, comme dans le cas du Fond Pula au Botswana. Enfin, quelques idées prometteuses n’ont pratiquement jamais été expérimentées : libeller les obligations en prix du pétrole plutôt qu’en dollars, pour se protéger du risque de baisse des prix ; opter pour un contrôle des prix des matières premières comme une alternative au contrôle de l’inflation ou au contrôle des taux de change pour ancrer la politique monétaire ; et redistribuer les revenus pétroliers sur une échelle nationale par habitant, pour s’assurer qu’ils n’atterrissent pas sur les comptes bancaires suisses des élites.
Les dirigeants ont leur libre arbitre. Rien n’oblige les exportateurs de pétrole à subir cette même malédiction. Les pays peuvent choisir d’utiliser les fruits de leurs ressources naturelles pour accélérer le développement économique à long terme de leur peuple, et non uniquement de leurs dirigeants.