Par Christian Bance, le 08.08.09
28 mai 2008 : Arrivés à Hovd (Alt : 1404 m, N 47°59 36, E 91°36 822), nous optons assez vite pour l’hôtel Buyant, belle réalisation cubique en briques d’une époque pas si lointaine ; nous digérons nos 44 heures passées à 22 passagers en moyenne, avec une pointe à 23, dans ce beau petit fourgon 4x4 UAZ gris de 9 places, dans lequel nous avons effectué le trajet Ulaan Baatar-Hovd, soit 1420 kilomètres.
Heureusement, les trois chauffeurs qui se sont relayés étaient sobres au volant, efficaces, le fourgon en bon état et, malgré les apparences pour nos yeux habitués à des jugements fondés sur une esthétique standardisée et envahissante, plutôt confortable.
Il faut dire qu’il était tellement chargé que la suspension pouvait pleinement jouer son rôle. Pour la consommation, autant que nous ayons pu en juger aux quantités englouties dans les différentes stations-service, ça tournait autour des 25 litres aux cent km, ce qui, ramené au kilo transporté, n’est pas beaucoup : 1,25 litres / personne / 100 km . Question confort individuel des passagers, c’est une autre histoire, à six sur trois sièges, il y a forcément des impasses, ce n’est pas le même cahier des charges que pour un TGV.
Au programme, quelques arrêts pipi-casse-croûte dans les guanz (cantines) . Nous avons pu déguster des buzz ( beignets de viande hachée bouillis), des khuchuur (les mêmes mais frits), du thé au lait ou au beurre, salé. Nous avons eu aussi deux pannes, une panne d’essence vers 02 h du matin , et la rupture des boulons de fixation de l’arbre de transmission avant, quelque part entre Altai et Mankhan, de la routine .
Le tout ne semblant absolument pas indisposer nos petits camarades de jeu, nous avons pris le parti optimiste et fait comme eux, descendre pisser un coup et attendre ; pas d’excès d’émotion .
Ceci dit c’est une expérience intense et éprouvante, une fois suffit. Nous avions rendez-vous à 14 heures au marché Naran Tuul, appelé aussi « marché noir » ou « marché des voleurs », où se trouve la principale gare routière d’UB. Nous partîmes à 20h00, après plusieurs chargements et déchargements dudit véhicule, en particulier pour confectionner une quatrième banquette de fortune avec des bagages des installés en guise de siège, appuyée à la double porte arrière , du grand art. Nos vélos se sont retrouvés perchés au-dessus du mètre de bagages savamment disposés sur le toit.
Après la première nuit, nous nous sommes clairement demandés si nous allions jusqu’au bout ou si nous descendions à la prochaine ville, ça devait être du côté de Bayankhongor, à environ 500 km d’UB, tellement le confinement, le mal aux fesses, les bouffées de claustrophobie , nous prenaient aux tripes . Nous résistâmes avec brio, il faut le dire bien encouragés par l’exemple de nos compagnons de voyage, tellement calmes et résignés que c'en est impressionnant .
Ce soir à Hovd : douche avec eau chaude à partir de 18 heures 30, chauffage urbain de modèle soviétique oblige.
29 mai,
Enfin à pied d'oeuvre , nous sommes anxieux juste ce qu'il faut face à ce qui nous attend: un beau massif plein sud sur 180 °, avec quelques sommets enneigés .
Nous cherchons la route de Duut à la sortie de Hovd, prononcer « dououte », avec « ou » long sinon personne ne comprend , et malgré nos efforts d’articulation, on nous indique un chemin sablonneux qui ne fait pas bien notre affaire.
Quart d’heure technique, carte, boussole, cap vers la montagne, vers la rivière « Buyant », prononcer « bouillante », joli nom pour un torrent.
Nous plantons la tente pour la première fois sur la terre mongole, séquence émotion, au milieu de ce qui ressemble fort à une périphérie de terrain vague, quel bel euphémisme, vu que ce qu’on y trouve est tout sauf vague, ici comme ailleurs.
Nous campons au bord de l’eau, face à nos nombreux voisins éleveurs, leurs yourtes et leurs troupeaux, pattes courtes et pattes longues , sous un beau coucher de soleil accompagné de pluie sur tout l'horizon, sauf au-dessus de nos têtes, heureux présage .
En cherchant du bois près d’un des rares espaces cultivés et clôturés, je me fais presque kidnapper par un sympathique pochard local, gardien et jardinier de son état, bien mûr en cette fin d’après -midi. Il prend un bain de pieds dans une petite rigole d’irrigation, et veut absolument m’aider. Il va chercher sa femme, plus portée sur l’eau de boisson que lui. Elle parle un anglais rudimentaire et bien pratique, appris en une année à l’université de Hovd, et les explications reprennent, lexique franco mongol à l’appui. La conversation est assez fluide bien qu'entrecoupée des borborygmes alcoolisés du mari et d'un de ses copains, dont j'ai un peu de mal à me décoller .
Ils nous invitent pour la soirée si le temps devient mauvais, je décline l’invitation avec remerciements, et je m’apprête à partir, mais pas les mains vides. Notre héros s'en tire avec les honneurs en me gratifiant d’un sac de bois tiré de sa réserve avant mon départ. Ce sera parfait pour faire chauffer la soupe du soir.
Pensant trouver Martine inquiète de mon absence prolongée, je me rassure en la trouvant l’appareil photo à la main, mitraillant le coucher de soleil et les troupeaux de chevaux. Nous chauffons la soupe de nouilles. Il y a de la montagne partout, nous aurons besoin de calories, ça nous impressionne un peu, prochaine patelin , Duut à 70 km à vol d’oiseau.
Prise de contact avec l’Altaï de Hovd…
30 mai.
Au départ de Hovd on bidouille dans la caillasse le long de la rivière pendant 5 à 6 km grâce à des gamins qui nous indiquent une fausse piste, pour enfin prendre une bonne direction, et nous arrêter après 16 km, effectués en grande partie dans le sable, ça n’avance pas fort.
On monte la tente en catastrophe sous un coup de vent d’ouest ( force 7 ?), qui manque de faire voler la tente. Martine est d’extrêmement mauvaise humeur, on tire comme on peut chacun de son côté, s'attendant à dormir tout mouillés sur les cailloux. Et quand on réussit enfin à trouver après ½ heure de gesticulations dans quel sens se monte la tente, le vent est calmé, la pluie arrêtée, on se retrouve comme deux cloches en se disant : on repart ou on reste, éclats de rire à l’appui.
Vu l’heure, nous restons à regarder les chèvres, et ça nous vaut de la visite : un gamin venu se poster une heure devant la tente, dont la conversation est plus que réduite , malgré mes efforts démesurés et mon excellent accent mongol (…), il répond toujours oui à tout, peut-être par politesse, il est supposé parler russe, anglais, français, mais ça ne facilite pas les échanges. Il se casse enfin, et nous partageons quelques considérations cartographiques avec deux motocyclistes de passage, très intéressés et amusés par la découverte des noms de leurs vallées, montagnes, rivières, décrites sur notre carte.
A la tombée de la nuit, débarque clopin - clopant un petit vieux tout cassé, courbé à 90°, marchant avec une canne, tout doucement, que nous appelons E.T. Il a sa yourte cachée derrière une colline à quelques centaines mètres, et bien entendu il a observé notre installation de son perchoir, longue vue à l’appui. Il arrive à nous faire comprendre qu’il est vieux (82 ans), on avait déjà compris qu’il n’était pas tout neuf, qu’il est très bigleux ( cataracte) et un peu sourd, tout ça avec le sourire, et qu’il attend la fin, tranquille . Il s’assoit près de la tente, nous regardant bricoler nos affaires et faire un thé au jasmin, dont je lui offre un gobelet. Il accepte poliment, trempe ses lèvres , mais quand je veux lui en servir un deuxième, il refuse catégoriquement en agitant la tête, façon de me dire, « ton truc c’est vraiment dégueulasse », et nous propose de venir boire un coup chez lui. Ca ne doit pas être le même genre de tisane, ici on carbure à la vodka « Chinggis ». Nous déclinons l’invitation pour cause de fatigue .Ce qui fut dit fut fait, nous dormons à 1600m près de la montagne Khatuu Uul ( montagne forte, ou montagne cruelle ?) Alt : 1563 m, N 47°53 834, E 91°29 564.
31 mai
Lever prévu à 05 h 00, effectif à 07h00 on part à 09h00.
Journée éprouvante, premièrement pour cause de sable qui ne facilite pas la progression des vélos chargés, et deuxièmement pour cause de fort dénivelé dans la caillasse quand le sable fut passé, ce fut parfois difficile de garder le sourire.
Nous croisons un de nos visiteurs de la veille qui retourne dans sa haute vallée en moto, une passagère qui a l’âge d’être sa chère mère sur le porte-bagage. Elle a l’air de nous trouver complètement frappés de monter la côte en vélo, ce qui est son droit le plus strict. Nous ne sommes pas loin de penser quelle a raison.
Vers 2000 m par un gros camion de « déménagement » de transhumants nous dépasse et s’arrête 50 m devant nous. Le chauffeur fait refroidir le moteur en arrosant copieusement le radiateur, et là nous avons une grosse tentation, celle de continuer en camion jusqu’au col rouge « Ulaan Davaa » . Le chauffeur n’est pas contre, mais ça n’est pas sa direction, il va vers le « Khokh Sekh » ( le Bouc Bleu ), plus à l’ouest .
Rétrospectivement, c’est très bien comme ça, et nous arrivons à Öliin Davaa ( le col pelé qui porte bien son nom , 2160 m , N 47°48 86, E 91°26 738 ), où nous nous restaurons, en attendant de trouver la solution d’un dilemme : il y a deux cols et deux routes, une vers le sud qui disparait très vite dans la descente, et une vers l’ouest qu’on voit à plusieurs km, mais pas vraiment dans la direction attendue. On est là comme des c…se demandant laquelle prendre, et malgré un repérage pédestre vers les övöö des environs, nous n’arrivons pas à trancher. Nous optons pour la solution verdure vers le sud, car qui dit verdure dit flotte, ce qui ne se néglige en aucun cas, quand arrive un motard qui confirme notre choix, plus direct que l’autre chemin, tout simplement.
Dans la vallée, nous nous baignons au milieu des yacks, chameaux, et chevaux, qui nous manifestent clairement qu’on les dérange, le tout dans une ambiance placide de carte postale . Repartis sur nos montures après le café, nous avons une dizaine de km à plat et le vent dans le dos , c’est rare mais ça existe.
Le soir campement dans un ambiance lunaire, feu de bois et de crottes pour un festin de nouilles ; la vie au grand air , aurait dit Reiser .
Nous avons la visite d’un cavalier curieux de nos petits trésors, matériel de cuisine, outillage. Nous lisons la carte, et il retourne à ses occupations du soir, quand je me rends compte que j’ai oublié de lui demander d’apporter les croissants demain matin. J’espère qu’il y pensera , histoire de nous prouver que l’hospitalité mongole, c’est pas du pipeau.
…Ses habitants , ses bestioles en tous genres
01 juin
On voit des yacks, on passe quelques névés, un col a 2655 m, « Chiveriin Khötöl » ( Col de la Bruine, 2655 m, N 47°36 293, E 91° 28 080 ), une sorte de grand ensellement en pente douce avec vue dégagée, ça respire, et derrière ça une bonne descente bien roulante d’une vingtaine de kilomètres comme récompense, ça s’apprécie.
Des longues vallées suspendues, des grandes perspectives, habitées de bestioles quadrupèdes en tous genres, des couleurs pastel partout, les points blancs des yourtes par-ci, par-là dans les recoins, on s’en met plein les yeux.
Après la traversée de paysages grandioses dans un silence tranquille, nous débouchons sur la bonne ville de Duut en début d’après-midi. ( la plus haute commune « soum » de Mongolie , Alt : 2420 m, N 47°31 205, E 91°37 725 )
De loin ça donne quelques toits de toutes les couleurs, calés au fond d’un vallon avec verdure et chevaux. Quelques motocyclistes viennent constater notre installation pas vraiment discrète, car la vallée toute plate doit faire 10 km sur 10, et avec la longue-vue ( paire de jumelles sciée au milieu, comme ça on équipe deux personnes ) que chaque éleveur a dans sa poche, rien ne passe inaperçu.
Duut nous permet de téléphoner à Juju qui est toute chose, de faire des courses entourés de tous les gamins du coin, de manger du poisson en boite dont on ne sait pas déterminer si c’est du maquereau ou de l’esturgeon et comme c’est écrit en russe on n’en saura pas plus, des nouilles dégueulasses, bien collantes et pleines d’amidon.
Nous découvrons que l’administration de la période soviétique , jusqu’en 1991, a mis en place dans toutes les communes des infrastructures de base qui continuent de fonctionner . Par exemple la ville de Duut ( 500 habitants en 2007, 2000 dans toute la commune qui fait 2000 km2 ), offre les services d’une poste, d’une banque, d’une école primaire, d’un dispensaire pour humains, et d’un dispensaire vétérinaire . Reste à voir comment ça fonctionne dans le détail, mais pour les services dont nous avons eu besoin (poste et banque) , ça a globalement marché.
La ville nous donne aussi à voir qu’après une certaine heure de la fin d’après-midi, les épiceries se transforment en bar à vodka, où toute la gent masculine au dessus de 15-16 ans vient se torcher consciencieusement, pour se torcher… d’où une ambiance particulièrement glauque le soir.
Et ce ne sont pas les richesses architecturales de la bonne ville de Duut qui facilitent la rêverie : baraques de planches , maisons de béton tout décrépi. Une des constructions du village les mieux entretenues, est l’hôpital vétérinaire, pourquoi pas .
Quand on demande où trouver de l’eau à boire, on nous indique vaguement une direction , et nous nous retrouvons à filtrer l’eau du ruisseau dans lequel tous les animaux du coin, grands ou petits, viennent faire ce qu’ils ont à faire… Ca nous plait modérément , parce que même si on filtre, et on fait bouillir, l’eau claire a forcément une meilleure image de marque que l’eau marron…A la tombée de la nuit, après un petit tour, nous découvrons à l’ouest du patelin, une fontaine d’eau justement bien claire, à débit permanent, que personne dans la journée ne s’était fendu de nous indiquer. Nous sommes très surpris de ce je-ne-sais-quoi de passif dans les attitudes .
Il n’y a aucune espèce d’hostilité, au mieux une vague curiosité , mais surtout beaucoup d’indifférence, ce qui au fond ne nous gêne que modérément : nous sommes peinards.
Ce premier aperçu d’une petite ville est franchement laid à part les toits multicolores. C’est assez propre, même si personne ne se gêne pour balancer sa bouteille de verre ou de plastique n’importe où, du fait d’une récupération intensive de tout ce qui peut l’être, et le soleil fait le reste .
02 juin
Nous quittons Duut, sans regrets vu l’appétit des maringouins qui nous harcèlent jusqu’à notre départ, et croisons peu après un piéton senior très digne, qui nous confirme la direction générale pour Ulaan Davaa. Après un coup d’œil avisé sur notre chargement, il nous conseille une piste plutôt qu’une autre, et nous suivons son conseil.
Après une dizaine de km, nous passons à proximité d’une yourte, dont les occupants paraissent un peu surpris de notre équipage, ce qui ne nous étonne pas. Ils nous invitent de la main. Nous acceptons, vu que nous ne sommes pas loin de l’heure de notre pause réglementaire, et nous entrons dans la yourte, proprette comme dit Martine. Si beaucoup de détritus jonchent l’extérieur, quand on donne à boire, le bol est lavé, rincé, essuyé avec un torchon propre . Martine , observatrice, dit qu’il y a un côté propre pour la cuisine où rien ne traîne, et j’ajoute perfidement que partout ailleurs c’est crade, ce qui n’est pas forcément vrai, quoi que ...
Ceci étant, on nous offre du yaourt dans un grand bol avec du sucre, ce qui est yackement ou vachement bon. Je suggère qu’on prenne un bol pour deux et non pas un chacun, car malgré la gourmandise qui me titille l’estomac, je crains une bonne courante à la sortie… Nous partageons donc le fameux bol, buvons du thé au lait, bienvenu étant donné la chaleur extérieure, des gâteaux secs, tout ça fort poliment, et quand nous sommes rassasiés, nous prenons congé, comme ça se fait dans la région, sans beaucoup de manières . Martine donne symboliquement une petite savonnette de luxe à la grande ado de la maison, parce qu’on ne se voit pas laisser de la monnaie, là où manifestement on ne manque de rien d’essentiel. Et nous enfourchons nos véhicules, carte, boussole et GPS à portée de main et de vue, pour suivre le chemin indiqué par nos hôtes, qui nous mène dans la direction du lointain col ( encore une trentaine de km à vol d’oiseau ). On en « chie comme des rats » (sic enregistrement du jour ), pour cause de quelques raidillons et de souffle court au dessus de 2600 m. A nos âges ça devient dur de pousser le vélo.
Nous mettons en oeuvre une technique combinée, qui consiste à pousser pédestrement un premier vélo à deux personnes , à poser le dit vélo quand on a franchi sinon l’obstacle du moins une partie du dit obstacle, et à redescendre à pieds, légers chercher le deuxième vélo quelques centaines de mètres plus bas, et à recommencer, ce autant de fois que nécessaire, jusqu’à franchissement de l’obstacle . C’est moyennement amusant, mais quand c’est fini on est contents, parce que souvent après une grosse montée il y a du plat, voire de la descente. Voilà un des secrets du plaisir de la ballade en vélo, en montagne.
Ce fut le cas, ça descendait, et il ne faisait pas trop chaud, ça a permis aux calories de se dissiper en douceur.
Comme prévu après ma dose de yaourt, j’ai une accélération subite et mal contrôlée de mon transit, autrement dit la chiasse, pendant que Martine est constipée, donc tout est dans la norme.
Un peu fatigués de cette journée, nous trouvons un petit vallon en direction du col, toujours le même que nous traquons depuis trois jours. Un berger que je repère au loin et que je finis par rejoindre à la course, m’indique une direction tout droit dans la montagne, mais ses habitudes de cavalier qui fonce droit devant, ne sont pas compatibles avec nos capacités ni celles de nos montures à pédales. Nous débouchons dans un vallon boueux en cul de sac, sentant la pisse de chèvres, bordé par deux yourtes assez miteuses gardées par deux bergers aux mines patibulaires, le tout sous un crachin peu engageant, vaguement coursés par deux chiens grognons. Ambiance de rêve…
Nous ne nous attardons point, et sortons de ce petit cul de sac sans regret, dans la direction proposée par les patibulaires vus plus hauts et, oh miracle de la technologie ( GPS, boussole, carte et crayon pour les calculs), nous vérifions que sommes dans une direction compatible avec notre programme de demain, ce foutu col d’Ulaan Davaa .
Il n’y a qu’un poil de végétation, une herbe de 2 cm ½ qui couvre la vallée, quelques petites fleurs, mais pas de bois , et j’ai la flemme de ramasser les crottes, d’autant qu’il a plu à notre arrivée, donc vivons dans le luxe, soupe sur le réchaud à essence ! Question autochtones, c’est pas la foule . La seule préoccupation c’est de trouver de l’eau demain matin , allez bonne nuit, sous la pluie, ça berce. ( Alt : 2710 m, N 47°27 521, E 91° 22 803 )
Les affaires sérieuses sont en cours
03 juin,
Après quelques coups de pédales, nous croisons une yourte au bord de la Khoit Tsenkher Gol ( la rivière bleu pâle du nord ), où l'on ne nous tourne ostensiblement le dos, chacun son humeur. Nous profitons de la rivière quelques centaines de mètres plus loin pour une halte thé-café-toilette, fort reconstituante après cette nuit dans une atmosphère humide et poisseuse.
Nous continuons revigorés, en faux-plat ascendant sur un chemin en balcon dans la haute vallée de la même rivière, pendant vingt km, de 2700 à 2900 m, dans une ambiance bien fraîche et minérale . Nous croisons quelques yourtes, et un camion de « déménagement » en panne, pont arrière démonté, coincé là-haut depuis deux jours avec papa, maman enceinte jusqu’aux yeux , deux gamins de sept- huit ans, dans l’attente de pièces détachées. Bonne humeur indispensable , et c’est leur cas, admirable .
Nous continuons notre chemin pour une petite pause de midi, et en traversant un petit gué, j’entends un bruit à l’arrière de mon véhicule, assorti d’un blocage de la roue arrière.
C’est grave : rupture de la patte de fixation arrière droite de mon porte bagages qui se retrouve posé sur la roue-libre. Aïe…et merde. Heureusement que traîne dans un fond de sacoche tout un fatras de « petit merdier » bien sélectionné , bien répertorié mais sans destination spécifique a priori. Tout ça permet de réparer la chose, en remplaçant la fixation défaillante par une double patte d’acier perforé, que nous scions , ajustons, fixons sur l’axe de roue, merci la bricole.
Après cette examen de passage par 2900 m, en ce début d’après-midi, nous décidons de faire une sieste, ou au moins de prendre un peu le temps de traîner, avant la dernière montée pour le col Ulaan Davaa, que nous nous réservons pour demain .
A peine arrêtés, un orage nous tombe dessus, ce qui n’est pas peu dire , un vent infernal, suivi d’ une vraie tempête pendant trois heures, pluie et grêle au programme, ça tombe horizontalement, si l’on peut dire, et pour secouer, ça secoue : une tempête, quoi ! Nous nous accrochons de l’intérieur de la tente à l’armature , équipés de nos gants de ski et de tous nos vêtements d’hiver
( la température sous l’auvent passe de 25 ° à 03 ° ), de façon à rester bien collés par terre, aussi secs et chauds que possible, pas de fantaisie .
Trois heures plus tard, le vent se calme, la pluie s’arrête, c’est le beau temps, en deux heures tout est sec sauf les crottes de yack. Tutto va bene , petite promenade autour du lac, écourtée pour cause d’abords marécageux, et… soupe de nouilles .
Après la visite rituelle du voisin de la yourte de l’autre côté du lac, qui s’annonce en ouvrant la tente sans aucun préalable, nous envisageons la journée du lendemain avec gourmandise - on ne passe pas tous les jours un col à 3200 m - et appréhension au vu des passages nuageux: les conditions météo sont une variable majeure dans ce genre de promenade. Lire la carte, relire la carte nous donne l’illusion d’apprivoiser par anticipation les incertitudes, paradoxe moteur de toute rando tant soit peu « engagée » .
Lequel de nous deux a dit aujourd’hui : « qu’est-ce qu’on fout ici ? »
( Alt : 2900m, N 47°26 088, E 91° 16 880 )
Ulaan Davaa, 3200 m
04 juin
Ciel pas très engageant à 06 heures, fraîcheur et gros nuages alentour, nous montons vers Ulaan Davaa , on n’a pas bien dormi à cause de l’altitude, et des voisins qui sont venus faire du rodéo à moto autour de la tente vers deux heures du matin... Après la dizaine de kilomètres qui nous mène au pied du col, après le lac Olgoï Nuur ( le lac Boyau, sur Google Earth c’est très parlant ) nous avons une nouvelle séance de pousse-vélo, raide mais pas longue. Belles vues du col,
( 3206 m, N 47°24 014, E 91° 12 361 ), sur les vallées environnantes, tout juste libérées de leur enveloppe nuageuse, à l'ouest vers Delüün, au nord vers Duut, et nous voilà dans une descente caillouteuse, très instable et pleine d’eau qui ruisselle sur quelques kilomètres.
Après la descente sous le col, nous pouvons laisser un peu tomber la garde, profiter plus tranquillement du paysage sans risquer la chute, admirer ces grandes vallées, larges, ondulantes , peuplées de gamins, de yacks, de chevaux qui batifolent, qui jouent en montant vers les alpages d’été, de chiens qui se contentent d’aboyer deux fois à notre passage avant de continuer leur sieste derrière un caillou, d' éleveurs souriants, qui déménagent avec yourtes et bagages en trottant et galopant derrière leur bétail, bref, de la vie partout.
Nous continuons notre descente en longeant la rivière du col rouge, jusqu’au confluent avec la rivière aux cailloux « Tchuluut gol ». Sur une petite clairière entourée d’un bosquet de saules et de peupliers, nous posons nos valises. Merci pour le feu, l’eau qui récure et désaltère, c’est magique.
Question voisinage, c’est calme, les ouvriers qui refont la piste à coup de bulldozer un peu plus haut ont posé leurs outils avant de partir en camion vers la vallée, ce qui tombe bien, nous n’avons pas envie de faire la conversation après un bon dénivelé de 300 m positif au départ, suivi de 900 m à la descente, dont dix bornes de caillasses, gués et autres divertissements humides. Tout ceci nous permet de laver les concurrents et leurs frusques, avant un bon sommeil réparateur.
La journée fut dense : montée du raidillon avant le col, descente mouvementée, grandes étendues herbeuses, puis sableuses, visions panoramiques en tous genres, troupeaux en transhumance et ambiance festive de printemps, pour les humains comme pour les quadrupèdes. Nous avons passé quelques gués, timidement pour les premiers, on essaie de passer à sec, on fait des manières, et petit à petit on se laisse aller, on patauge allègrement sans faire semblant de vouloir rester secs, ce qui n’occasionne pas de souffrance particulière étant donné le ciel bleu et les 25 ° ambiants dans la basse vallée.
Fin de journée très détendue, agréable, des couleurs et des troupeaux partout sur l’herbe vert tendre, les yacks paisibles, timides.
La fin de la piste d’aujourd’hui était particulièrement roulante, agréable par son faible dénivelé ( ne pas avoir besoin de pédaler c’est bien, avoir à peine besoin de freiner c’est encore mieux ), à tel point que j’ai osé dire que ce n’était pas du vélo, mais plutôt de la descente en chaise-longue, avec quelques secousses en plus.
Nous fumes invités dans une yourte par une famille fort accueillante, souriante, autour d’une grand-mère qui a sorti sa del ( grand manteau brodé) des grands jours pour être belle sur la photo ; on boit un coup, on part quand c’est fini, sans cérémonial, sans se retourner, avec la promesse d’envoyer les photos.
On passe des groupes de femmes qui font le grand nettoyage de printemps, tapis multicolores étalés sur l’herbe devant la yourte, tableaux bucoliques qui font bon ménage avec l’ambiance de chaise-longue vue précédemment.
Nous savons pourquoi nous sommes venus, réponse si besoin est à la question vue plus haut, question qui s’estompe petit à petit, dans la grandeur simple des paysages où nous nous coulons tout doucement, de mieux en mieux, sur nos petits vélos de pas grand-chose, et qui sont si importants pour notre périple de silence , d’effort et de récompenses, de rêverie ininterrompue.
Je déclare que je sens mes genoux , ce qui ne signifie pas que je pue des genoux, non, je pue des pieds de temps à autres, comme beaucoup de gens très bien, mais ce sont mes genoux qui se rappellent à mon bon souvenir pour cause d’activité mécanique soutenue, en ces régions de montagne.
A la demande générale, je rappelle que mon porte-bagages a pété, et je suis en mesure de préciser, que mon porte-bagage n’est pas le seul à péter. Dans les montagnes où l’eau courante est très oxygénée, l’absorption de ce liquide comme breuvage quotidien, génère des émissions digestives de gaz à effet de serre, qui contribuent hélas à creuser le fameux trou dans la couche d’ozone, personne n’est parfait . L’avantage du porte-bagage, selon Martine, (prout-bagages ?), c’est qu’il ne pète qu’une fois, du moins on espère . Ainsi soit-il.
Et pourtant ici, que de l’eau à boire, et rien à fumer .
Alt 2380, N 47°22 429, E 91°03 799
Paysages , transhumance, la vie partout
05 juin
Nous démarrons dans la vallée de la rivière du col rouge, « Ulaan Davaa Gol », escortés par les maringouins, dans une ambiance qui passe sans cesse du désert franc aux oasis, et nous finissons nos réserves solides, un peu justes pour ces quelques jours, au confluent des rivières du « col rouge » et « Bulgan ».
Nous arrivons à Bulgan-Olgii à l’heure de l’apéro, et trouvons à notre goût l’unique hôtel restaurant du coin , sa tenancière, sa copine, en tout bien tout honneur, et leurs buzz . Nous réussissons même à faire comprendre que nous voulons une boisson gazeuse, ce qui nous vaut d’avaler un jus de pomme à bulles, pourquoi pas, la vie est belle .
Après les agapes de demi-journée, nous traînons dans la bonne ville de Bulgan-Olgii, village- boyau de quelques centaines de mètres de long, bordé de maisons de type isba, ou en pisé, et d’échoppes en tous genres, à la recherche de ravitaillement pour les jours suivants. Nos péchés mignons, sont dans l’ordre, le café soluble, toutes les copies de « vache qui rit », et il y en a un nombre certain, autrichienne, chinoise, mongole, allemande, etc…et les bouillons cubes.
Nous sommes escortés de quelques gamins curieux de notre équipage, de nos montures un peu plus sophistiquées que leur vélos « made in china » mais à peine, et surtout mieux réglées. Ils sont aussi intéressés par tous les câbles, pédaliers, manettes, compteurs et autres sacoches pleines d’objets, d’autant plus mystérieux que nous les gardons bien à l’abri des regards et des mains qui traînent. Tout se fait dans la bonne humeur, sans quémander . Nous avons même - un peu- le respect dû à nos cheveux blancs (nous sommes à l’âge où les mongols gardent les petits et les chèvres à la yourte…), et aux remarques des adultes du cru qui demandent clairement et gentiment aux mômes de nous laisser respirer, nous apprécions. Les gamins sont très fiers de nous escorter à la poste, et chez l’ épicier, probablement le seul de la ville, qui ait du café soluble, et le fameux fromage fondu à tartiner en rayons, pour lequel nous ne ferons pas davantage de pub, quel exploit !
Après un coup d’œil à la jolie petite mosquée façon maison de poupée – n’oublions pas que nous sommes chez les kazakhs, nous continuons le long de la rivière, et nous nous arrêtons
près d’une bergerie temporairement inoccupée, entourés de toutes les bestioles petites et grandes qui sévissent dans la région . Nous avons le temps d’observer chameaux, chevaux, grues-demoiselles, pies, goëlands, canards, cormorans, alors que nous ne sommes pas vraiment en zone maritime, yacks, et même un chat venu faire son marché près des terriers de gerbilles qui truffent le sol.
Nous recevons la visite de trois jeunes hommes à cheval, et après les présentations d’usage, nous proposons un thé au jasmin. Ce n’est manifestement pas ce qu’ils préfèrent, et après quelques politesses, ils nous gratifient d’un départ au grand galop, pour continuer au pas leur conversation quelques centaines de mètres plus loin.
Après mise en route du feu qui nettoie tout même l’eau, nous concluons cette riche journée par un mise à l’horizontale de bonne heure, dans un paysage aux dimensions tellement impressionnantes, qu’on s’y sent protégés, chez nous quoi. Nous passons inaperçus, ou plus exactement sans importance, quel régal.
(Alt : 1909 m, N 46° 53 000, E 91°09 934 )
06 juin
Nous partons un peu tard, pour cause de fatigue et de camping accueillant chez nos camarades à deux et quatre pattes, pour une journée très chaude . Le manque de punch nous incite même à faire un extra quasi gastronomique ce midi, sous forme de nouilles avec une sauce aux champignons, ce qui s'avère bien réconfortant, avec quelques vaches placides en fond d’écran, vision propice à une bonne digestion.
Nous avons droit à notre premier chien emmerdeur, qui nous course un peu sur quelques dizaines de mètres ; c’est surtout énervant, plus que dangereux, mais ça aurait pu gâcher la vue sur la montagne au nord, Mönkh Khairkhan ( le Clément éternel), 4364 m, enneigée au fond de la vallée. Nous réactualisons notre vieux dicton : « à chien con , maître con , et réciproquement », car il suffirait que le maître rappelle son chien pour que tout simulacre d'attaque cesse immédiatement, et au lieu de ça le maître ricane bêtement en regardant son chien s'exciter. Personne n'est parfait .
La piste suit la rivière sous les saules, ça n’est pas vilain du tout, le sol est caillouteux à souhait, puis ensablé, bonjour les poignets. Nous passons le village « Bazar Kol Suma », ou « Ulaan Nuur Bag » ( la compagnie du lac rouge ) selon l’origine russe ou mongole des cartes, village qui est à cette période de l’année quasi déserté, façon village fantôme, bien lugubre, un vrai village cauchemardesque de western, habité par deux gusses pour une cinquantaine de maisons basses en bois ou pisé, les toits couverts de crottes en tous genres, qui sèchent en réserve pour l’hiver prochain. On ne traîne pas, et quelques km plus loin, on double une petite guanz
( cantine), gardée par deux petites filles – 8 ou 10 ans -, qui nous font comprendre que papa et maman sont dans la montagne avec les bêtes, donc nous n’osons pas nous installer dans la cantine, probablement à tort..
Plus tard, nous trouvons un pont de bois en cours de réfection, agrémenté d’une barrière qui veut ressembler à un péage. Le gardien-réparateur a l’air aussi embêté que nous et ne sait pas bien si avec nos vélos et nos tronches d’extra-terrestres, nous sommes dans la catégorie de ceux qui paient , ou pas . Je prends les devants et nous passons sans payer, je sais maintenant que j’ai eu tort : si les locaux ne réparent pas, tout tombe en ruines, les autorités ne vont pas jusqu’à s’intéresser à l’entretien des pistes et des ponts dans ces coins perdus . Tout s’apprend .
Nous faisons halte à l’entrée des gorges de la Bulgan, que nous longerons demain, le relief est déjà bien torturé. Ambiance garantie.
Eau à volonté ce soir, à tel point que nous installons la tente trop près de la rivière, ce qui n’est pas indiqué en cas de grosse pluie. Après quelques ablutions et un peu de cuisine, nous déménageons à la tombée de la nuit, ça nous fait un peu d’exercice de monter la tente deux fois de suite le même soir …
Nouvelles du front, le porte-bagages objet de toutes mes attentions tient bon, j’ai trouvé un bon gros bout de fil de fer, ça peut servir.
( Alt ; 1675 m, N 46°40 287, E 91° 20 833 )
Gorges et rapides de la rivière Bulgan
07 juin
Après notre déménagement vespéral, de crainte d’une crue de la rivière, lever à 06h 06. Nous longeons les rapides sur la piste très caillouteuse rive gauche, sous une ombre bienvenue .
Nous ne voyons pas le moindre kayakiste, le long de la vingtaine de kilomètres de rapides, pourtant il y a de quoi faire, mais nous croisons beaucoup de troupeaux en transhumance, à pattes courtes et à pattes longues, qui ralentissent sérieusement notre progression déjà pas brillante, vu l’état catastrophique de la piste.
Les troupeaux montent par groupes de quelques centaines de bêtes, nous descendons à deux individus, nous ne faisons pas le poids, alors nous devons souvent patienter sur les bas-côtés de la piste large de quelques mètres, à chaque fois que nous croisons un troupeau.
Ambiance bucolique, mais au dixième troupeau, les salutations, les photos, tout ça …devient d’une fréquence encombrante, mais à la décharge de nos camarades montagnards, personne ne nous a forcés à venir chez eux. Tout le monde est très calme dans ce foutoir apparent, y compris les familles entières qui remplissent les quelques interstices restant dans les camions qui déménagent tout le matériel : yourtes, meubles, poêles, literie, parabole…
Piste, disais-je, très dégueulasse, pire que tout, en gros du sable mou dans lequel on s’enfonce, sur lequel on pousse et on porte, alternant avec de la caillasse qui ressemble aux marches d’ un escalier jetées en vrac, en montée et en descente, avec exceptionnellement 100 ou 200 mètres de sol plat où on ne s’enfonce pas.
Ce soir après 40 bornes, nous sommes lessivés . Nous faisons une pause sur une petite île au milieu de la rivière, fort sympathique , mais les moustiques, spécialité de la région , ont bon appétit, on était prévenus, alors on fait du feu. Nous mangeons du fromage un peu acide et salé, gracieusement offert par une de nos admiratrices de passage, que nous faisons cuire – le fromage, pas l’admiratrice- avec une confiture non identifiée, et c’est tout à fait intéressant pour nos papilles, histoire de changer de goût.
La diversion, le détournement, la fantaisie, l’imprévu, le décentrage, faire vivre l’imprévu, les trésors combinés du hasard et de l’imagination, on s’amuse bien .
Restons positifs, le vent nous accompagne avec un peu de sable , pour donner une consistance croquante à cette promenade de santé.
Autant que nos échanges linguistiques nous le permettent, nous apprenons que la distance restant pour Bulgan – Hovd , est estimée à 30 ou 70 km selon nos informateurs, et il semblerait que la piste soit encore très pourrie pendant 20 km ; donc pas de réjouissances urbaines ni de restau tout de suite , nous allons faire maigre encore au moins 24 heures. J’ai un peu les crocs mais ça s’arrangera bien un jour ou l’autre, merci les gâteaux fourrés aux figues en attendant, et les incontournables nouilles, de riz, de soja, de blé, italiennes, allemandes, russes, mongoles, coréennes, vietnamiennes, chinoises, je crois que c’est tout.
( Alt : 1378 m, N 46°26 202, E 91° 23 187 )
08 juin
Nous croisons quelques familles de transhumants kazakhs, dans différents véhicules bien chargés, jeeps avec remorques, camions à 2, 4 ou 6 roues motrices, monstrueux, débordant de matériel, suivis ou précédés par les troupeaux, dans des ambiances de bruits animaux qu’on a du mal à imaginer, avec la poussière du sable, les cailloux du chemin qui roulent. Cest une espèce de fête cosmique où la vie dans les hauts pâturages entraîne irrésistiblement tout et tout le monde. Nous sommes là-dedans un petit détail imprévu, sans importance et ça , ça ne s’invente pas.
C’est ça qui nous fait sortir du trou, ça fait partie des meilleurs moments de notre périple .
Nous traversons pendant 50 bornes une espèce de delta quasi à sec, à peu près plat, sur du sable assez ferme. Petite incursion dans l’extrémité Ouest du Gobi, en quelques centaines de mètres ça n’a plus rien à voir avec la montagne, on ne joue pas les mêmes enjeux, et pas avec les mêmes outils sur ce genre de terrain.
Petits, petits, sur nos petits vélos …même avec un peu d’eau.
Nous arrivons dans Bulgan Hovd, ville à l’ambiance sordide à 21h00, rien ne bouge, quasiment personne dans les rues. Des petites maisons basses à l’allure miteuse, aucune échoppe ouverte, quelques lampions faiblards, pas la moindre petite gargotte où on peut bouffer une bricole tant soit peu conviviale. Nous trouvons un hôtel du type bloc de béton soviétique ( le Tushig hotel), déglingué, pas entretenu, sans électricité, sans douche même rudimentaire, les chiottes au fond de la cour en bas d’un escalier du genre escalier de secours brinquebalant et à moitié dessoudé.
La tenancière antipathique, veut gonfler les prix, mais vu le standing nous lui faisons comprendre qu’il n’y aura pas de supplément au tarif que nous proposons. L’invasion de moustiques achève de nous mettre les nerfs en pelote.
( Alt : 1239 m, N 46°11 489, E 91°31 201 )
Bulgan-Hovd
Du 08 juin au soir, au 13 juin au matin
A la première heure nous changeons d’hôtel, direction le ( Tavaan Turuu hotel, hotel des cinq sangliers ).
Cette bonne ville de Bulgan est à 50 km de la frontière chinoise, le passage est autorisé en principe seulement aux frontaliers, à notre connaissance deux semaines par mois. Pendant ces deux semaines, la ville est traversée de camions de marchandises nuit et jour, tout le monde est sur le pied de guerre. C’est beaucoup simple de s’approvisionner en denrées courantes à la ville frontalière chinoise de Tashkshent, ou pour les matériaux ou matériels industriels de faire 480 km vers Urumchi par une route récente et goudronnée , que d’aller à Hovd, chef-lieu de la région à 400 km par des pistes montagneuses, ou dans les aïmag du centre de la Mongolie pas mieux approvisionnés, et à fortiori que de faire le long et fastidieux voyage jusqu’à Ulaan Baatar (1500 km en 3 à 4 jours de pistes quand tout va bien ).
Cette ville excentrée, administrativement mongole, est peuplée majoritairement de Kazakhs musulmans et de Torguud animistes et un peu bouddhistes. Elle ne semble pas beaucoup susciter l’intérêt du pouvoir central. Il n’y a toujours pas d’internet à Bulgan, par exemple. L’histoire récente montre que les voisins musulmans d’Urumchi et du Xinjiang sont en quête de reconnaissance, en Chine et à l’étranger, et certains connaisseurs disent qu’ils nouent des liens avec leurs coreligionnaires des régions de l’ouest mongol, dans les aïmag de Hovd, et surtout Bayan-Olgii et Uvs. Il y a peut-être des opportunités politiques et sociales que la classe dirigeante d’Ulaan Baatar particulièrement nombriliste et corrompue ne devrait pas négliger si elle veut contribuer à maintenir la stabilité de la région. Tous les prosélytismes se nourrissent des carences sociales et l’ouest mongol n’y échappe pas. Les pays du Moyen-Orient financent les études de certains étudiants, et la construction de mosquées, par exemple.
Nous séjournons dans notre ville – étape de Bulgan-Hovd, avec mandat d’une association pour faire un point des réalisations en cours depuis 2007 dans deux écoles, un jardin d’enfants, et en vue de consolider un partenariat entre ces deux communes reliées par l’histoire .
Après une mise en route laborieuse dans cette ville où nous ne connaissons rien ni personne, nous bénéficions de l’aide de quelques bonnes volontés pour mener à terme autant que possible notre engagement . Nous visitons deux écoles, un jardin d’enfants, en compagnie des directeurs d’écoles, de professeurs et d’instituteurs. Nous rencontrons le gouverneur –le maire- et son adjoint aux relations sociales. Et enfin la rapide visite que nous faisons de l’hôpital, et les quelques échanges avec les infirmières et sages-femmes présentes nous font une impression de première vue plutôt favorable, tant au plan de l’entretien des locaux et du matériel bien que vétuste, que de la compétence des personnes.
Nous passons quatre jours, hors –jeu au regard de notre périple, et reprenons nos aventures cyclopédistes, le 13 juin, après quelques journées et soirées mémorables en compagnie de Jill, notre interprète – hôtesse australienne, qui vit et travaille ici depuis cinq ans. Dans la catégorie des personnalités non conformistes, on peut lui réserver une place .
Dans ce bout du monde, ou cet entre deux ou trois mondes, une fin de 20° siècle, et un début de 21°, il se passe des choses complexes entre Mongolie, Chine, Russie, Khazakstan et d’autres régions, réactives aux tentations communautaristes, aux sirènes du libéralisme en expansion et à son corollaire de corruption.
Mélanges explosifs ? L’actualité est pleine d’exemples . Ca bouge, ça bouge.
Fin de la première partie, traversée nord-sud