Mis en ligne le 2012-02-19
S'il fallait une preuve que les minerais sont promis à un avenir radieux, la fusion proposée le 7 février entre le premier négociant mondial de matières premières, le suisse Glencore, et le quatrième groupe minier mondial, le suisse Xstrata, en serait une superbe. Ce rapprochement en cours, d'une valeur boursière de 90 milliards de dollars, confirme que les investisseurs de la planète font le pari d'une rareté des matières premières, face à une demande qui galope. Ils tentent donc de sécuriser leurs approvisionnements et de s'approprier au maximum cette chaîne de valeur très prometteuse.
Cette conviction s'est manifestée chez les grands groupes par une frénésie d'investissements destinés à soutirer à la terre toujours plus de minerais métalliques ou énergétiques, afin de répondre à l'appétit pantagruélique des pays émergents, à commencer par la Chine .
En 2011, les mastodontes anglo-australiens BHP Billiton et Rio Tinto, le brésilien Vale, le suisse Xstrata et le sud-africain Anglo American, mais aussi la cohorte des mineurs "juniors" ont investi de l'ordre de 140 milliards de dollars (104,2 milliards d'euros) dans les puits et les machines. Cela permettra d'obtenir toujours plus d'or, de fer, de charbon, de cuivre ou de "terres rares" pour fabriquer toujours plus de voitures, d'immeubles et de téléphones portables.
En 2010, ils avaient déboursé pour cela 100 milliards de dollars, et en 2003, moins de 40 milliards. L'année 2012 promet de ne pas être en reste. Rio Tinto a annoncé, le 8 février, qu'il investirait 3,4 milliards de dollars rien que dans ses mines de fer australiennes. BHP Billiton, associé à Rio Tinto, a fait savoir, le 14 février, qu'ils dépenseraient ensemble 4,5 milliards de dollars pour augmenter de 30 % la production de la plus grande mine de cuivre du monde, Escondida, au Chili.
Autre manifestation de ce boom, les fusions-acquisitions sont de retour, grâce aux énormes liquidités dont disposent les grands mineurs après des années de bénéfices astronomiques (23 milliards de dollars en 2011 pour BHP). Le pic de ces concentrations avait été atteint en 2007, avec un montant de 210 milliards de dollars. Selon une étude publiée le 5 février par le cabinet Ernst & Young, la crise a fait chuter ces rachats à 126 milliards en 2008 et à 60 en 2009. Une remontée s'est amorcée en 2010 à 113 milliards et confirmée en 2011 à 162 milliards.
Désireuses d'utiliser au mieux leurs capitaux, les entreprises se trouvent face "au dilemme d'acheter, de construire ou de distribuer leurs bénéfices", note l'étude. Elles choisissent de plus en plus la première solution, parce qu'il est plus facile, plus rapide et moins coûteux de racheter un concurrent et ses mines que d'en creuser de nouvelles.
Les pays visés par ces achats ? Les pays développés, plus sûrs, et en premier lieu les Etats-Unis, le Canada et l'Australie. Les secteurs les plus recherchés ? Le charbon et l'or. Les cinq plus grandes fusions-acquisitions ? BHP Billiton s'est diversifié dans le pétrole et le gaz avec Petrohawk Energy (11,7 milliards de dollars) ; le russe KazakhGold Group s'est approprié son confrère de la filière de l'or Polyus Zoloto (8,4 milliards) ; le russe Urakali s'est renforcé dans la potasse avec Silvinit (8,1 milliards) ; le canadien Barrick Gold a jeté son dévolu sur Equinox Minerals (7,3 milliards) ; le charbonnier américain Alpha Natural Ressources a dévoré son petit concurrent Massey Energy (7,1 milliards).
Comme le note Ernst & Young, ces croissances externes ont pour but d'abaisser les coûts, mais aussi d'atteindre la taille critique pour ne pas faire les frais de la volatilité des prix des matières premières, très dépendants des problèmes macroéconomiques, telles les crises de la dette.
C'est pourquoi le mouvement de concentration devrait s'accélérer en 2012, note l'étude, même s'il n'y a pas de corrélation entre la valeur boursière des sociétés minières - atone - et les prix des matières premières, qui ont flambé durant le premier semestre 2011 et qui sont appelés à grimper encore. Ainsi, tous les observateurs s'attendent que le nouvel ensemble Glencore-Xstrata prenne pour cible le numéro 5 mondial, Anglo American, dont les gisements de platine sud-africains sont alléchants.
Cette course à la taille débouchera inévitablement sur des quasi-monopoles qui imposeront leur loi aux pays en développement et leurs prix aux consommateurs. La seule résistance que ces mastodontes rencontreront sur leur chemin viendra des Etats. Qu'ils soient développés (Australie), émergents (Brésil, Russie, Afrique du Sud) ou en développement (Venezuela, Bolivie), ceux-ci veulent participer à la fête et n'hésitent pas à changer les règles du jeu minier en leur faveur pour toucher plus de royalties.
Souvent tentés par la nationalisation, comme en Afrique du Sud, qui vient d'y renoncer, ou en Mongolie, les gouvernements n'oublient pas que leurs populations paieront le prix des dégâts environnementaux infligés par les bulldozers, les puits et leurs rejets. Aucun d'entre eux ne souhaite connaître les révoltes socioenvironnementales des Chinois ou des Néo-Calédoniens. Elles ne sont qu'un avant-goût de ce qui attend les groupes miniers, insoucieux de leur voisinage comme de la planète.