Mis en ligne le 2011-12-27
Il y 20 ans a germé l’idée d’aller observer et analyser les ruptures de surfaces en Mongolie avec Hervé Philip. Uniques au monde ces ruptures associées à un essaim de puissants séismes intra-continentaux font plusieurs centaines de km de long avec des rejets pouvant atteindre 10 mètres. Ces séismes qui se produisent sur des failles “lentes“ (mm/an) sont séparés par des périodes de calme longues (des milliers d’années).
D’abord comprimée par l’inexorable avancée de l’Inde, la plaque asiatique est en même temps expulsée vers l’océan Pacifique à la faveur d’un grand réseau de décrochements (flèches) assurant le transfert entre failles de compression (en noir) et d’extension (en blanc). Ainsi entre 1905 et 1957 (à peine plus de 50 ans !), la partie Ouest de la Mongolie aura subi 4 séismes de magnitude supérieure ou égale à 8 (Tsetserleg 1905, 8.1 ; Bolnay 1905, 8.4, FuYun 1931, 8.0, Gobi-Altay 1957, 8.1), apparaissant alors comme l’une des régions intracontinentales les plus actives avec des mouvements décrochants le long de failles anciennes (héritées des orogenèses hercynienne et calédonienne) réactivées par la collision entre l’Inde et l’Asie.
Cette sismicité mongole “en essaim“ du début du XXème siècle, tout à fait exceptionnelle soulève des questions fondamentales : cette configuration s’est-elle déjà produite dans le passé, avec quelle fréquence et quel en est le mécanisme…
Plusieurs facteurs font de la Mongolie un chantier privilégié. A la dimension des objets (ruptures de plusieurs centaines de kilomètres, déplacements de plusieurs mètres) s’ajoute l’excellente préservation des marqueurs de la déformation sismiques (terrasses, cônes alluviaux, talwegs, rides décalés, sédiments piégés).
Ce sont les méthodes de la paléosismologie que mettent en œuvre J-F Ritz et ses collaborateurs. L’approche consiste à analyser les marqueurs de la déformation sismique dans la morphologie : déplacements de talwegs par exemple, que l’on observe sur le terrain, que l’on cartographie à toutes les échelles (de la photo aérienne au modèle numérique de terrain en passant par l’image satellite). La mesure précise des déplacements de marqueurs et leur datation permet de déterminer la quantité moyenne de déplacement par séismes et la vitesse de la faille.
Des techniques d’archéologue sont utilisées dans les tranchées que l’on creuse au travers d’escarpements de faille pour observer la
stratigraphie et les structures de déformation des dépôts. Pour dater un séisme, on va repérer le terrain le plus jeune qu’il affecte et celui non déformé qui le scelle. La chronologie relative
des évènements récents devra ensuite être calée dans l’absolu en faisant appel à différentes techniques de laboratoire (Carbone 14, thermoluminescence, etc…).
On ne peut pas invoquer de lien mécanique entre les vitesses des failles et la magnitude des séismes. On doit en revanche en invoquer
pour expliquer l’occurrence des grands séismes continentaux « en essaim » : Bolnay (1905) et Gobi-Altay (1957). C’est ce que suggère l’analyse des transferts de contraintes post-sismiques
associés aux séismes de magnitude 8 qui se sont produits en Mongolie au cours du siècle dernier (développé par J. Chéry et al). Après une rupture, la relaxation des contraintes peut induire sur
des grandes distances (500 km ou plus) et à moyen terme (10 –100 ans) un effet “d’avance d’horloge“ (l’augmentation de la contrainte “avance“ le séisme suivant) ou de “retard d’horloge“ dans le
cycle sismique d’une autre faille. Ce mécanisme, selon l’orientation et la cinématique des failles, conduirait ainsi à une rupture prématurée ou au contraire retardée. On sait que pendant le
séisme, le transfert de la contrainte s’effectue dans la croûte de manière “élastique“. Selon le modèle, le transfert post sismique des contraintes s’effectue dans une partie plus profonde «
viscoélastique » de la croûte et serait supérieur de deux ordres de grandeur au transfert de contrainte élastique. La relaxation consécutive au séisme sur la faille de Bolnay aurait ainsi
transféré les contraintes sur la faille de Bogd provoquant 57 ans plus tard le séisme de Gobi Altaï.
Les différents projets en Mongolie ont été soutenus par plusieurs programmes de l’INSU et fait l’objet de plusieurs thèses montpelliéraines : S. Carretier 2001, R. Vassallo 2006.