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11 décembre 2011 7 11 /12 /décembre /2011 16:34

Mis en ligne le 2011-12-11

 

Berlin, correspondant - La petite Giulia Sarkozy l'apprendra bien assez tôt. Les cadeaux sont rarement dénués d'arrière-pensée. Surtout entre responsables politiques. L'ours en peluche qu'Angela Merkel a offert à Nicolas Sarkozy le 26 octobre ne déroge pas à la règle. A la différence de ces petits gâteaux chinois qu'il faut croquer pour découvrir le message qu'ils contiennent, celui qu'a voulu délivrer Angela Merkel figurait sur l'emballage.

Six lettres - Steiff - qui, à elles seules, résument le miracle allemand. "Une très belle marque", se désole-t-on à la Fédération française du jouet. Une marque créée il y a plus de cent vingt-cinq ans, désormais présente dans cinquante pays et qui fait notamment un malheur aux Etats-Unis avec son célèbre Teddy, dont le nom a été inspiré par le président Roosevelt. Une société qui, après avoir délocalisé sa production en Chine, l'a rapatriée il y a quelques années en Allemagne.

Les délais de livraison et la qualité de la production étaient incompatibles avec les standards maison du made in Germany. Une entreprise familiale centenaire tournée vers le marché mondial mais capable de gagner de l'argent en réinstallant sa production en Allemagne : quelle meilleure illustration de la réussite allemande actuelle ?

"L'AGENDA 2010" DE SCHRÖDER : UNE RECETTE MIRACLE ?

Cette réussite, qui agace tant les Français, se prête en réalité à une double grille de lecture. Fondée sur le coût du travail, la première grille pourrait être qualifiée de libérale. Reposant sur la tradition industrielle et la qualité de la main-d'oeuvre (le fameux modèle rhénan), la seconde est davantage d'inspiration sociale-démocrate. L'ironie de l'histoire est que la première a été mise en place voilà bientôt dix ans par un gouvernement de gauche, alors que la seconde s'est épanouie après la guerre, essentiellement sous des gouvernements conservateurs.

Décembre 2002. L'hebdomadaire britannique The Economist consacre un dossier à l'Allemagne. Son titre : "Le géant incertain". Son constat : "L'économie est tirée vers le bas par une des mains-d'oeuvre les plus chères, les moins flexibles et les plus protégées au monde." Trois mois après des élections qui ont reconduit au pouvoir la coalition SPD-Verts dirigée par Gerhard Schröder, l'hebdomadaire note que, durant la campagne, aucun parti n'a promis de vigoureuses réformes et que le gouvernement "avance comme un somnambule vers la récession". Toutefois, le journal s'interroge : "Maintenant que le chancelier est à nouveau en selle pour quatre ans, va-t-il être davantage favorable aux réformes ?"

La réponse viendra le 14 mars 2003. Plus de 4 millions de personnes (soit 9 % de la population active) sont alors au chômage. Dans un discours au Bundestag resté célèbre, le chancelier Schröder annonce l'"Agenda 2010" et promet du sang et des larmes à ses compatriotes. "Nous réduirons les prestations distribuées par l'Etat, nous favoriserons la responsabilité des individus et nous devrons exiger davantage de chacun." C'est selon lui le seul moyen pour qu'en 2010 l'Allemagne "revienne en tête du développement économique et social en Europe".

L'âge de la retraite est repoussé, l'indemnisation du chômage réduite et chamboulée, les remboursements des dépenses de santé plus sélectifs, les cotisations sociales diminuées, la TVA augmentée... Aucun Allemand n'échappe à la réforme.

>> Lire : "Le coût social des réformes outre-Rhin"

La potion est souvent amère, même si certaines modifications, comme le recul à 67 ans de l'âge de la retraite, sont très étalées dans le temps. Inspirées notamment par le New Labour de Tony Blair mais regardées avec suspicion par les socialistes français, ces réformes sont poursuivies par Angela Merkel en 2005. Parallèlement, les finances publiques sont assainies - en 2006 et 2007, les budgets sont équilibrés -, ce qui permet au gouvernement de se montrer à nouveau dépensier et de soutenir massivement l'activité durant la crise de 2008-2009.

Résultat : contrairement à toutes les prévisions, la croissance affichée en 2010 est spectaculaire (+ 3,6 %) et celle de 2011 pourrait avoisiner les 3 %. Si 2009 a été marquée par une profonde récession (- 4,7 % de croissance), les employeurs et les syndicats, aidés par l'Etat, se sont mis d'accord pour privilégier le travail à temps partiel plutôt que les licenciements. Dès lors, le chômage est resté étonnamment stable, permettant aux entreprises de repartir très rapidement en 2010.

 LE REVERS DE LA MÉDAILLE GERMANIQUE

Gauche et droite tentent de s'approprier ce succès. "Sous Gerhard Schröder, il y avait 5 millions de chômeurs. Nous en sommes à moins de 3 millions. Nous sommes plus forts qu'avant la crise", répète à l'envi la chancelière. "Le gouvernement actuel n'a pas fait grand-chose, répliquait, en 2010, l'ancien chancelier social-démocrate. Comment se portent les pays qui n'ont pas fait les réformes entreprises en 2003 - la Grande-Bretagne, la France, l'Espagne ? Ils doivent maintenant entreprendre des réformes en partie plus radicales que celles que nous avons menées à l'époque."

De fait, l'Allemagne affiche aujourd'hui un bilan flatteur : le chômage va encore diminuer cette année (malgré une augmentation de la population active), le déficit budgétaire a été ramené sous la barre des 3 % et les exportations continuent de s'envoler. Sur les trois premiers trimestres de l'année, l'excédent commercial approche les 120 milliards d'euros, davantage encore qu'en 2010. De 2005 à 2009, le nombre d'entreprises exportatrices progresse de 219 000 à 239 000. Dans le même temps, en France, il diminue de 100 000 à 91 900.

Mais il y a le revers de la médaille. Durant toute cette période, les salaires sont restés stables, la consommation étale et les inégalités se sont accrues. Partant du principe qu'"un travail mal payé et inconfortable est préférable à une non-activité financée par les transferts sociaux", le pays a multiplié les emplois peu rémunérés. Environ 7,4 millions de salariés occupent un "mini-job" très peu payé. Encore aujourd'hui, l'Agenda 2010 fait l'objet d'intenses débats, tant à gauche qu'à droite. Certains y voient la clé du succès actuel de l'Allemagne, d'autres le début de la fin d'un modèle.

Les deux thèses sont sans doute excessives. A y regarder de plus près, l'Allemagne avait commencé sa mue dès la fin des années 1990, une fois la réunification absorbée. C'est la thèse de Peter Bofinger, un des cinq économistes qui conseillent le gouvernement, qui évoque "les réformes invisibles" de la décennie 1992-2002. "Après le pic de 1996, quand la part des dépenses publiques dans le PIB allemand atteint 54 % et dépasse pour la première et seule fois de son histoire celle de la France, la diminution est spectaculaire. Dès 1998, l'Allemagne tombe à 48 %, puis à 44 % en 2001", relèvent Bernard de Montferrand et Jean-Louis Thiériot, auteurs de France-Allemagne : l'heure de vérité (Tallandier).

Dans une note publiée le 18 novembre par Natixis, l'économiste Patrick Artus juge également que c'est à la fin des années 1990 que les économies de la France et de l'Allemagne ont commencé à diverger.

"LE MODÈLE ALLEMAND NE DOIT SA RÉUSSITE QU'À LA DIRECTION TOTALEMENT OPPOSÉE DES AUTRES PAYS"

Mais l'exemple de Steiff le montre, ces chiffres ne disent pas tout. D'abord parce que le "modèle allemand", c'est aussi des grandes entreprises, tel Siemens, qui offrent une garantie d'emploi à leurs salariés sur plusieurs années. Surtout parce que les succès à l'exportation ne dépendent pas que du coût du travail. Loin de là. Auteur d'un volumineux rapport sur "Une prospective franco-allemande", l'ancien sénateur français Bernard Angels (PS) le constate : "On est tenté d'attribuer les différences importantes et le rythme d'expansion des exportations des deux pays à destination de la zone euro, et plus largement de l'OCDE, à l'avantage de l'Allemagne à l'influence de la composante qualitative de la compétitivité des produits allemands."

Une histoire presque aussi vieille que la révolution industrielle. Le "made in Germany" date de 1867. Quand les industriels britanniques, inquiets de la concurrence que commencent à leur faire les Allemands, parviennent à imposer ce label pour frapper d'indignité les produits supposés bas de gamme. Mais comme le raconte Maiken Umbach dans Mémoires allemandes (Gallimard, 2007), en quelques décennies les progrès de l'industrie allemande furent tels que "vers 1900, des fabricants britanniques falsifiaient l'étiquette de leurs produits pour les vendre mieux sous le label made in Germany".

La mention avait pris une "signification tout à fait nouvelle, diamétralement opposée aux intentions de ses inventeurs : elle devint le label des produits de qualité les plus modernes, la marque du travail de qualité allemand. Et comme l'idée de l'Etat industriel était aussi un projet national, made in Germany eut sa pertinence pour le discours nationaliste : la formule devint l'emblème de la nouvelle Allemagne", écrit cette historienne.

Aujourd'hui, cela reste en grande partie vrai. L'industrie, notamment automobile, est objet de fierté nationale. Même Klaus Ernst, président de Die Linke, le parti de la gauche radicale, est fier de s'exhiber au volant de sa Porsche. Les journaux consacrent des suppléments hebdomadaires aux machines de toutes sortes. Le président de la République participe aux cérémonies marquant les 200 ans de Krupp. Angela Merkel trouve même le temps, en pleine crise de l'euro, d'aller passer trois jours au Vietnam et en Mongolie à la tête d'une délégation de patrons allemands pour vendre le made in Germany à Hanoï et préempter une partie des terres rares dont dispose Oulan-Bator.

L'Agenda 2010 n'est donc que le dernier étage d'une construction dont les premiers éléments ont été assemblés il y a plusieurs décennies. Ce modèle est-il pérenne ? Patrick Artus ne le croit pas. "Puisque la demande des ménages est faible (...) et puisque le poids de l'industrie est élevé, la croissance de l'Allemagne ne peut venir que de ses exportations (...). L'Allemagne a une économie structurellement forte mais fragile de sa dépendance aux autres."

Néanmoins, miser sur les exportations quand la croissance mondiale se déplace vers les pays émergents et qu'on est soi-même dans une situation démographique difficile présente aussi des avantages : une croissance, des excédents commerciaux et des réserves de change supérieurs à ceux de la France.

Mais ce modèle est-il reproductible à d'autres, notamment à la France, premier client de l'Allemagne ? Peter Bofinger est convaincu du contraire. "Si l'on écoute les discours des décideurs politiques allemands, on serait tenté de croire que le bilan du pays est proche de la perfection. Permettez-moi d'émettre quelques doutes. Au cours de la dernière décennie, la demande intérieure n'a pratiquement pas évolué en termes réels, alors que les exportations ont augmenté de plus de 70 %.

"Cette évolution doit-elle réellement former la loi fondamentale pour l'ensemble de la zone euro ? N'est-il pas surprenant (...) que les décideurs politiques restent incapables de comprendre que le modèle allemand ne doit sa réussite qu'au fait que les autres pays prenaient une direction totalement opposée ? La modération salariale telle que pratiquée en Allemagne ne pouvait porter ses fruits qu'en tant que stratégie isolée. Si tous les autres pays lui avaient emboîté le pas, la zone euro aurait immanquablement fini par affronter une spirale déflationniste", expliquait-il en avril lors d'un colloque de la fondation Notre Europe.

Vouloir s'inspirer de l'Allemagne peut être utile, mais vouloir l'imiter serait irréaliste. Reste donc aux autres pays européens, notamment la France, à résoudre une équation encore plus complexe : comment être compétitif sans être allemand ?

Frédéric Lemaître

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